LE PROJET
Pourquoi un bateau, vieux, petit, légèrement rabougri (avec tout le respect que je lui dois), et qui
n'a aucune aptitude pour la pleine mer et les horizons lointains, se retrouve embarqué dans une drôle
de galère, en plein hiver, loin de la terre, loin de chez lui, et pourtant heureux?
C'est une longue histoire. Pleine de rebondissements et de visages différents, vous vous en doutez...
En fait, elle n'est pas si longue
que ça puisque voilà à peine plus de 2 ans que la deuxième vie du
Fukov a débuté, par un frileux après-midi d'un lendemain de Noël.
L'histoire compte trois
protagonistes principaux, ainsi que quelques protagonistes secondaires
dont le
rôle, s'il ne fut pas décisif fut cependant de grande importance.
Chacun de ces protagonistes a une
version un peu différente quand on l'interroge sur le "Projet Fukov". En tant que rédacteur du site,
(rédacteur Officiel, mandé par le Fukov lui-même!) je tente ici de vous fournir une petite synthèse
assez objective de ces points de vue. Cela vous permettra de cerner le "Projet Fukov".
Afin de ne pas
froisser les susceptibilités et conscient que la diversité des points de vue ne peut qu'enrichir le
propos (isn't it?) , chacun des protagoniste livre aussi sa propre version des faits, après la synthèse
officielle. (Antoine, Le Fukov, Florent, Brano)
"Le projet FUKOV"
Alkaïd était un vieux bateau qui coulait de vieux
jours sur les bords d'un petit Fleuve du nom de
Lez. Un superdorade biquille de
1968. Il attendait une hypothétique remise en état, ou d'être vendu.
Un jour, Antoine, un habitant de
Lattes, la ville voisine, repère le bateau installé sur sa petite
butte, à l'abri des crues et à deux pas de l'eau. Intéressé (car il
aime la mer), il se renseigne auprès du propriétaire et apprend que le
navire est à vendre. Une aubaine! Le bateau est certes vieux et abîmé,
ainsi que de taille réduite, mais il a fort belle allure et le prix
proposé est séduisant. Après une rapide concertation, Antoine et son
frère Florent décident d'acquérir ce petit voilier.
L'objectif est d'avoir un bateau
pour pouvoir naviguer où bon nous semble (dans la mesure du
raisonnable, bien sûr…), quand bon nous semble. Mais il y a beaucoup de
travail de réparation. Dans la
logique du "projet Fukov", il est prévu que le Fukov accomplisse
plusieurs expéditions, de nature
variées.
Pour l'heure, Antoine projette un
tour en Méditerranée de plusieurs mois et se met donc au travail de
réparation. Par chance, l'ancien propriétaire d'Alkaïd est fort
sympathique: il nous permet de laisser
le bateau là jusqu'à la fin des travaux et d'utiliser l'eau et
l'éléctricité. De nombreux copains
aident à réparer les nombreux problèmes du bateau, qui sont autant de
coéquipiers potentiels. En
particulier Brano, un slovaque aguerri, qui projette un moment de
partir avec Antoine. Florent, lui,
bosse à Antibes, et participe joyeusement au chantier dès qu'il est
dans les parages. Il est prévu
qu'il accompagne Antoine une partie du trajet.
Après plus d'une année de
remise en état générale, souvent laborieuse, le FUKOV est enfin prêt à
aller
à l'eau. Fukov est le nouveau nom que nous avons choisi pour le bateau.
Par une nuit d'avril 2004, Le
Fukov !!! est mis à l'eau à Port Ariane (Lattes) en grande pompe!
Il n'est pas encore prêt pour
naviguer. Il passe 3 mois amarré au ponton de "Fukovland", l'endroit
des
rives du Lez où il était installé lors de l'achat. Le temps de mettre
en place le gréement,
l'électricité, les finitions. Et le temps pour Antoine de réfléchir un
peu à son projet. Il s'agit de
faire -si possible- le tour du bassin occidental de la Méditerranée et
de voir le volcan Stromboli,
tout en visitant un maximum d'îles.
Fin juillet, après de
plusieurs reports du départ, Le Fukov largue enfin les amarres de son
ponton de
Fukovland sur Lez. Direction: l'Italie et le Stromboli. Date de retour:
assez floue. Objectif: en faire
(et en voir) le maximum avec ce petit voilier de 6,50m.
Depuis, Le Fukov navigue.
"Les différentes versions..."
ANTOINE
"Depuis plusieurs années déjà,
je rêvais sur les bateaux. J'avais la possibilité d' utiliser un
voilier de 9m, une ou deux semaines par an mais ça ne me suffisait pas.
Ce que je voulais, c'était
d'avoir mon bateau, et partir naviguer dessus. Et ce le plus rapidement
possible. Dans la mesure du
possible bien sûr.
Je baguenaudais souvent sur les
bords du Lez à regarder les bateaux beaux et à moitié abandonnés. Et un
jour, à 3 m au dessus de la route, posé sur une butte providentielle
surplombant le fleuve, j'ai vu ce
magnifique petit voilier. Ses deux quilles élégantes , son étrave
arrondie, son arrière remontant
délicatement... Il y en a d'autres et de forts beaux qui sont amarrés
dans le Lez mais tous, souvent trop
vieux, me semblait d'inaccessibles rêves. Celui là, avec sa modeste
taille et ses oeuvres vives à l'air
me semblait tout proche, il semblait attendre là qu'un quidam comme moi
vînt s'intéresser à son sort.
Je m'approchais pour l'observer de près, en faire le tour. Dans mon
regard embué de rêves lointains, il
était parfait, quoique un peu petit. Et par dessus tout beau.
Plusieurs fois, je revins. Mais il
n'y avait jamais personne. Je l'examinais en détail (de manière
assez inexperte, il faut le dire). Je m'enhardis même une fois à monter
à bord et me glisser à
l'intérieur.
Un jour enfin, je rencontrai le
propriétaire du voilier; un habitant épisodique de ce coin de berge,
bricolant sans relâche une vieille péniche en polyester installée en
bas de la butte. Il me confirma
qu'effectivement ce voilier était à vendre et que c'était
–naturellement- un fort bon petit croiseur
côtier.
N'ayant pas la bourse assez lourde
pour faire cet achat seul, je branchai sur l'affaire mon Frère Flo,
qui comme moi adore la voile, la mer et les bateaux. Il accepta bien
vite de se lancer dans cette
aventure de réparation navale et de futurs voyages. Et l'affaire fut
conclue.
Cet événement heureux arriva
justement l'année de la fin de mes études; ce qui est une fort bonne
date
pour ce genre de projet. Je décidai de partir avec mon compère Brano
fraîchement tombé amoureux de la
mer. Les réparations furent longues et ardues. Difficiles à planifier
et à gérer avec les aléas du ciel
et les disponibilités de chacun. Ce furent Brano et moi qui assurèrent
le maximum de boulot,
logiquement puisque nous étions les premiers concernés par le voyage en
prévision, Flo et d'autres
amis participèrent aussi à ces travaux, en particulier Dukr le grand
roi du Vernis.
Même si les travaux ont mis du
temps et qu'ils étaient souvent fastidieux, une bonne partie du temps a
été consacrée à profiter du coin de "fukovland", endroit idéal pour
prendre le soleil, boire des
bières rafraîchissantes, faire des grillades sans gêner les voisins, ou
partir en exploration fluviale
sur le Lez... Et puis l'année de travaux m'a permis de me rendre un peu
mieux compte des capacités
potentielles du Fukov et de nos capacités financières pour l'équiper.
Mes désirs étaient de partir
naviguer le plus loin possible, jusqu'à la Mer Noire par exemple.
D'affronter de vraies traversées et des mers costaudes. Un petit bateau
peut fort bien faire l'affaire
s'il est bien conçu. Mais j'ai finalement compris que pour le Fukov,
déjà âgé, les traversées ne
pourraient être que des exceptions et la navigation côtière serait son
lot quotidien. Ce qui
n'empêche pas d'aller loin... Je me décidai pour un tour de
Méditerranée occidentale, si j'estimais sur
le terrain que c'était faisable, quitte à me rabattre sur un itinéraire
différent.
Quelques semaines avant le
départ, Brano, mon fidèle matelot abandonna son projet d'expédition
lointaine pour les charmes d'une donzelle au yeux noirs, me laissant
seul sur le quai. Je décidai de
partir quand même quitte à trouver des équipiers temporaires en chemin.
Mes objectifs pour ce voyage
sont les suivants: acquérir une expérience de navigation et plus de
connaissances; découvrir des îles
de la proche Méditerranée en particulier le Stromboli; accomplir avec
le Fukov, voilier vieux et
ridiculement petit, un périple digne de nom.
Le départ fut laborieux: il
n'y avait jamais assez d'équipements à bord à cause de nos bourses et
les
finitions demandaient toujours plus de travail. Je crus ne jamais
partir. Il fallut faire un compromis
pour partir enfin, même sans avoir à bord tout l'équipement que
j'aurais souhaiter avoir. Il fallait en
finir avec l'étouffante moiteur des travaux à Fukovland,
l'amollissement tropical typique à ce lieu. Il
fallait partir. "
LE FUKOV
..."Vous savez, quand je suis né, il n'y avait pas vos conneries d'Internet et Compagnie!!
Il y avait la mer, un homme et son bateau dessus. Un point c'est tout! C'était facile... Pas comme
aujourd'hui... Avec tous ces machins de n'importe quoi qu'ils vous foutent partout, pour un oui ou pour
un non!...Même s'il est vrai que nous, les premiers bateaux en plastique, on était un peu mal vu par les
anciens...Ils nous disaient qu'on ne ferait pas long feu, qu'on allait prendre l'eau et que dans 10 ans,
on serait bon pour la casse.
Moi, ça ne me tracassait pas du
tout. Je savais que j'avais une bonne étoile dans le prolongement de
mon étrave et elle m'avait dit un jour que mon destin était de partir
loin et de vivre vieux. Comme la
plupart des bateaux, je crois en général ce que me disent les étoiles
car elles ont une grande sagesse
et nous sont très souvent nécessaires en pleine mer. Je ne me suis donc
pas trop inquiété de mon futur
car je connaissais à l'avance l'issue positive de mon destin.
J'ai navigué, pas mal! Un peu en
Bretagne, en Vendée, puis sur la Côte d'Azur et même en Corse. Et
permettez moi de vous dire, vous qui surfez sur du virtuel que j'en ai
vu de belles! Et du réel, 100%! Qui vous envoie à la renverse avec
force violence! Oui!... Alors vous me faites rire, les blancs- becs!
avec votre truc d'Internet!
Et encore plus avec votre satané "Projet Fukov"!
Pendant de longues années,
changeant plusieurs fois de capitaine, j'étais sur les flots, mais
toujours
je restais dans des environs connus. Et toujours je me demandais:
est-ce celui là qui va mener (et que
je mènerais) loin? Et je vieillissais tout doucement comme me l'avais
dit mon étoile. Et j'attendais
avec foi que mon destin en vienne à se réaliser. Je n'ai jamais
désespéré puisque je savais de quelle
manière heureuse mon attente devait se dénouer. Lorsqu'on m'a sorti de
l'eau pour me mettre au sec sur
les bords du Lez, j'ai pris ça avec philosophie. Tu reverra l'eau
bientôt gamin!, d'ici trois moi, un
beau capitaine viendra te remettre à l'eau et vous serez parti pour de
belles aventures, je me disais…
Mais il ne se passait rien. Ma coque était bien sèche certes, mais un
peu craquelée, et des bestioles
s'installaient en moi. Je me suis alors dit que j'avais un certain âge
et que peut-être avais-je
atteint la sagesse. Lors, je me mit à attendre avec une sérénité
inébranlable, l'attente eut-elle duré
100 ans que je n'eût point été impatient. Jusqu'au jour où un jeune
blanc-bec est venu troubler mon
attente immuable.
J'ai mis un certain temps à
comprendre qu'il était sûrement le fameux beau capitaine qui devait
m'emmener loin. Il était tout content de me faire revivre, assurant que
sans son intervention, j'eusse consumé mes dernières années sur ce ber
au bord du Lez. Un zouave qui me promettait de sympathiques projets
mais qui me traitait avec une condescendance que je n'appréciai guère.
Par ailleurs, sa jeunesse et son absence d'ordre ne correspondait pas
vraiment à ce que je m'étais imaginé pendant mes longues années
d'attente.
Une fréquentation assidue a fini
par me faire admettre le fond sympathique de ce nouveau capitaine et
surtout son désir sincère de m'emmener loin. Mais je continue à lui
trouver des manières désagréables: dans la fougueuse inexpérience de sa
jeunesse, il me maltraite souvent et surtout s'accorde tout le mérite
de ce que j'ai contribué à accomplir à hauteur de 90%. Quelle
prétention! De même il prétend que je devrais le remercier de m'avoir
remis à l'eau! Quelle grotesquerie! Il ne sait même pas qu'il n'est
qu'un pion du destin et que ce qu'il fait était calculé depuis plus de
20 ans! Enfin, et c'est le comble! il m'a rebaptisé d'un nom que je ne
préfère même pas citer tant il évoque à l'esprit des choses grossières
et peu recommandables!...
Mais s'il me permet de finir ma vie en beauté et de voir le panache rougeoyant du Stromboli
s'épancher dans la mer en bouillonnant,.. Alors, je lui donne ma confiance!."…
FLORENT
BRANO
DUKR
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